30.11.08






Pensées photographiques sur Millenium Mambo

J'ai choisi de travailler, moins sur la rédemption du personnage principal que sur la descente aux enfers via les lumières-couleurs bleues et rouges, via le verre de whisky et via la fumée de cigarette....
Sur le mouvement du corps, le mouvement des couleurs, le mouvement des images pour faire aussi écho au cinéma...

Le corps bouge (Photo 1), puis se perd dans le monochrome bleu (Photo 2)
, puis ce sont les lumières elles mêmes qui se mettent en mouvement (Photo 3) pour se calmer ensuite dans un monochrome rouge un peu inquiétant (Photo 4) et c'est la brisure (Photo 5) car la paix du monochrome ne dure pas. Enfin, je signe comme j'ai l'habitude de le faire dans mes séries photographiques: non pas par mon nom mais par ma double représentation: celle inhérente à l'image photographique et celle du miroir brisée (Photo 6).

26.11.08

Edito


Le cinéma est une expression artistique qui nous est donnée achevée, à voir. Et nous, public, sommes en position de receveurs. C'est parce que des films nous ont touchés que nous désirons maintenant, plus encore que les projeter, les partager. Ainsi, après avoir été receveurs, il nous plairait désormais d'être, comme le disait Serge Daney, de bons re-lanceurs auprès du public.

Alors, pourquoi ne pas essayer ensemble d'arrêter le temps et de retrouver l'émerveillement d'un enfant qui, sous ses yeux, voit défiler les images, bercé par les sons, les figures, les intrigues, certes, mais aussi, simplement par les couleurs..? D'ailleurs, les couleurs, si on en parlait ?

La couleur, après avoir mis longtemps à s'imposer dans nos images, est désormais partout, sur tous les écrans, tout le temps. Mais force est de constater que plus elle est là, moins on la voit. Serait-elle devenue d'une fade banalité ? Le cinéma aurait-il oublié la force de la couleur comme vecteur d'émotions et de sens ?

Certainement pas, et nous voudrions justement montrer que, parmi les films de ces vingt dernières années, de nombreux cinéastes, à la manière des peintres, ont composé avec les couleurs et imposé aux yeux des spectateurs l'évidence expressive de leur présence. Le cinéma, benjamin des arts, vit son adolescence seulement, et il lui reste tant à découvrir !

Une fois les lumières allumées, avant de retrouver les parapluies, les manteaux et le dernier métro, nous pourrions, alors, rester encore un instant dans ce monde en suspens qu'est la salle, et prolonger le plaisir de la séance en donnant forme à nos ressentis par des mots. Un débat, des questions, des discours : faire rebondir la pensée, se mettre en jeu, écouter.

Les meneurs de ce jeu ? Une équipe de jeunes passionnés, cinéphiles, rédacteurs du site www.iletaitunefoislecinema.com qui prendront la parole, espérant lancer l'étincelle qui fera jaillir le débat. Aucune leçon ni mode d'emploi : juste des propositions, qui, on l'espère, pourront éclairer le film, susciter des réactions, éveiller les passions...

Les séances "Les couleurs de la toile" seront donc l'occasion de penser la couleur comme une composante déterminante du film, qui se rajouterait en couche à l'histoire qui nous est racontée à l'écran... Une occasion unique pour voir les films sous de nouvelles couleurs...

2.11.08

Rouge, ou les nuances d'une existence


de Géraldine Pioud et Samir Ardjoum

Dans une carrière, ce qui vient en dernier (pas uniquement par les hasards de la vie mais aussi par une volonté farouche de dire le monde une ultime fois) se pare d'un symbolisme particulier, entre le message d'outre-tombe et le testament d'une existence artistique. Rouge est ce témoignage que nous livre Kieslowski, de là-haut, sur la fraternité des hommes et sur l'essence même des choses et des êtres. Après avoir évoqué en France le Bleu-liberté, puis en Pologne le Blanc-égalité, Trois couleurs : Rouge (qui se déroule en Suisse) est une réflexion sur le sens de la vie, sur son universalité, là où les deux premiers films de la trilogie évoquait plutôt des chemins personnels. Cependant, par cette structure particulière (Rouge est un puzzle qu'il faut reconstituer image par image) qui mêle des éléments du présent par un savant jeu de montage en parallèle, Kieslowski brouille les pistes en jouant habilement avec le montage, développant par là-même, en plus d'une étude au microscope des relations humaines, une théorie cinématographique dans ce qui est son dernier chef-d'oeuvre. Rouge, c'est l'aboutissement d'une vie sur pellicule...

L'esthétique parfaite joue sur les nuances de rouge, entre le velours des fauteuils d'un théâtre et le vermillon d'une enseigne d'un bistro. Couleur passion présente à chaque plan (même s'il n'est pas visible à l'écran il est habillement suggéré : sous son veston, la belle Valentine dissimule presque toujours un haut rouge...), couleur des stigmates et de ces globules si vitales, le rouge est le sang de la vie, la circulation des fluides. Il est vie et mort mais aussi renaissance. Les personnages sont en prises à cette mort-résurrection et chacun va devoir choisir sa route s'il ne veut pas la subir. Violence d'une couleur chaude qui offre au regard toutes les injustices du monde. Le rouge, c'est comme un extrême, une sorte d'ultimatum, un moment de vérité : pas d'échappatoire, l'heure est à l'engagement. Un rouge cristallisé sur le fond d'une affiche publicitaire : Valentine (Irène Jacob), regard désespéré et fraternel, s'amuse à faire des bulles avec un chewing-gum. Personnage hypersensible à la grâce intemporelle, elle incarne un certain état du monde : consciente de ne pas avoir de prise réelle sur sa vie, elle expose sa violence intérieure au regard de tous lors de ses cours de danse. Ce film, il est à elle, pour elle. Valentine, compatissante et irrémédiablement aspirée par un juge (Jean-Louis Trintignant) désenchanté, sorte d'Icare des temps modernes. Déçu par tous (par son ex-femme et surtout par lui-même), dérouté par son travail, il laisse de côté sa fierté et se crée (plus par protection que par envie) une véritable carapace qui le transforme en abject manipulateur, cynique et dénué de sentiment. Presque mort et pourtant, le désordre de sa maison rappelle, si besoin était, qu'il a bien évolué, un jour, parmi les vivants. Solitaire, son unique passe-temps est d'espionner la vie (téléphonique) des autres. Une incursion dans la sphère privée qui ne fait pas rougir. Au début de son film, Kieslowski fait entrer la caméra (et le spectateur...) dans l'appartement de Valentine par la fenêtre, alors qu'elle tient (au téléphone) une conversation privée avec son petit ami. Cette même vitre qui sera l'obstacle physique d'une rencontre avec le jeune juge Auguste (Jean-Pierre Lorit) : quand il est derrière la fenêtre (dans la rue donc) elle n'est pas là, et vice versa... Pour la rencontre souvent un médiateur s'avère nécessaire. Dans la cas de Valentine et du vieux juge, c'est la chienne Rita qui fera office d'intermédiaire. Au milieu des deux personnages, elle regarde de l'un à l'autre jusqu'à ce qu'enfin ils se rapprochent et finissent par s'apprivoiser. Rita a fait le lien, ils feront le reste.

Le juge et Valentine sont tous les deux animés par cette curiosité parfois malsaine que constitue le mystère des autres. En juxtaposant les scènes de ce duo avec celles d'un jeune juge (Auguste) et de sa compagne adultérine, Kieslowski brouille les pistes, faisant se croiser sans cesse Valentine et Auguste sans que jamais ils ne se rencontrent (le moment n'est pas encore venu...), jouant avec les temporalités cinématographiques en offrant à chaque image une des clefs de l'histoire. Pour preuve cette magnifique scène de bowling, dont l'exceptionnel plan fixe final qui conclut un long travelling (sur une table, un verre brisé à côté d'une paquet de cigarettes) offre aux yeux des spectateurs toute la colère du jeune juge et la rupture qui s'en suivra. Une métaphore filmique qui dit en quelques secondes tout ce qu'un millier de mots n'auraient put exprimer. La communication (ou l'absence de communication) sont aussi au coeur de Rouge, mis en perspective par le téléphone. C'est par lui que Valentine et son amant (qui habite de l'autre côté de la Manche) garde le contact, que Valentine prend des nouvelles de sa maman et de son frère, que le juge espionne ses voisins ; c'est aussi à un service météo téléphonique que travaille la petite amie d'Auguste. Chercher la vérité des paroles et de la vie en dehors de tous préjugés corporels.

Vérité du cinéaste, maîtrise des destinées ; mais aussi doutes et interrogations. La tempête finale réuni par la grâce de Dieu les personnages de la trilogie Kieslowski et les sauve. Un naufrage évocateur de multiples symboles. L'eau, tout d'abord, est un élément important dans Trois couleurs : ... la piscine apaisante de Bleu, la neige enivrante de Blanc, l'humidité automnale de Rouge. L'eau, par laquelle parfois le mal arrive, est ici un facteur de délivrance. Libéré de toutes contraintes, les corps se donnent enfin aux autres dans toutes leurs splendeurs. La bateau, et le naufrage dans lequel il est emporté, constituent par ailleurs une forme moderne de l'Arche de Noé. Les êtres sauvés ne le sont pas au hasard : c'est la main de Dieu qui les a choisit. Dieu? Mais lequel? Un Dieu de l'Ancien Testament sûrement, misanthrope comme le juge mais aussi déçu par autrui. Le juge comme main divine sème le doute. Avant le départ de Valentine, il lui demande son billet, le regarde sans mot dire et le lui rend. Lors du tournage, Kieslowski a eu ses mots à Irène Jacob : « J'aimerais que tu penses que cet homme est le verdict de Dieu. Imagine ce qu'est l'espérance. La foi dans quelqu'un de bénéfique. » Le juge aurait-il ce pouvoir magique de sauver les êtres purs?

Valentine, candide et naïve, demande un jour: « Comment faire pour aider? »... « Il suffit d'être, tout simplement », lui répond le juge. Le plus important serait la présence, parce que quelque part, aider son prochain se fait souvent à son insu. Une scène récurrente marque l'évolution des êtres dans la Trilogie: une vieille dame tentant de mettre une bouteille dans une poubelle trop grande pour elle. Dans Bleu, le personnage de Julie (Juliette Binoche) ne la voit pas, trop occupée qu 'elle est à bronzer ; dans Blanc, Karol (Zbigniew Zamachowski) la remarque et lui sourit ; il faut attendre Rouge et sa fraternelle Valentine pour que la vieille dame obtienne de l'aide. Chacun doit ainsi se révéler à lui-même afin d'être au monde. Rouge, un film profond qui cherche l'essentiel au-delà du visible et qui traite la fraternité au singulier : être fraternel, c'est ce qui aide à sortir de soi. Être fraternel, c'est aussi garder l'espoir. Être fraternel, c'est garder les yeux ouverts sur les signes que nous envoient notre existence... Observer, et ne jamais renoncer.

« C’est qu’il n’est pas que le film qui soit une œuvre d’art, la réflexion critique en est une aussi. Elle exige de l’amour, de la sincérité, de l’inspiration. Il y a une muse des ciné-clubs » André Bazin.

BANDE ANNONCE