30.3.09

L’enfant prodige du cinéma américain




Par Marion Polirsztok

Avec ses 5 longs métrages, Paul Thomas Anderson s’est imposé comme un des cinéastes les plus intéressants de la dernière décennie. P.T. Anderson, né en 1970 en Californie, est le fils d’un doubleur travaillant à Hollywood. Il mène une enfance turbulente où il change régulièrement d’école ; à 12 ans il reçoit de son père sa première caméra et réalise des petits films amateurs : il décide de devenir cinéaste. Mais il renonce à suivre l’enseignement de la New York University School et apprend sur le terrain. Il se rend à Los Angeles où il travaille comme assistant de production à la télévision. Son premier court-métrage, Cigarettes and Coffee (avec Philip Baker Hall, interprète de Sidney), est remarqué au festival de Sundance en 1993. Anderson peut alors tourner son premier long-métrage, Sidney (Hard Eight, 1996), puis Boogie Nights. Le succès rencontré lui permet de réaliser Magnolia avec un grand contrôle. Il crée d’ailleurs sa propre société de production, Ghoulardi. En 2002 il réalise Punch-Drunk Love, qui reçoit le prix de la mise en scène au festival de Cannes. « J’ai cherché à réaliser un film de pur divertissement, un film qui marche auprès du public ! », déclarait Anderson. Mais l’accueil du public fut mitigé, et la critique, tout en saluant son inventivité formelle, le considéra comme moins parfait que les autres films. Puis il consacre cinq années à l’adaptation de Oil ! d’Upton Sinclair, There Will Be Blood (2007). L’éclectisme des films rend leur abord à première vue difficile. Plutôt que d’y traquer le style, les thèmes de prédilection, voire la biographie du réalisateur (perspective auteuriste), les films gagneraient à être dans la conjoncture contemporaine. Dans cette perspective, on peut faire l’hypothèse que les films de Paul Thomas Anderson sont des films néoclassiques .

Les genres aujourd’hui

Prenant acte de ce que, pour le dire rapidement, l’ère classique de Hollywood s’est achevée, le néoclacissisme reconvoque et réinvente ce référent qu’est, pour le cinéma américain, l’art hollywoodien (et notamment sa plus grande réussite artistique que furent les genres). Par exemple, les films les plus manifestes de ce moment néo-classique sont sans doute ceux de Clint Eastwood. Mais il faut insister sur le point que la reprise du genre ne peut pas être pure répétition, elle nécessite une création, au plus loin de la réaction académique et du formalisme vain ; c’est bien souvent le cinéma moderne qui permet de forcer les genres, c’est-à-dire de les mettre à l’épreuve : que peuvent-ils supporter d’élasticité, jusqu’où peuvent-ils être modernisés ? Mais aussi qu’ont-ils encore à nous dire aujourd’hui, pour une pensée véritable du présent ?
Les films de Paul Thomas Anderson présentent tous « une puissante intellectualité » (Alain Badiou) du cinéma, une reprise des genres face à la nécessité et même l’urgence d’une pensée de l’Amérique, pensée qui se donne souvent dans la question fondamentale du cinéma américain des rapports père-fils (Sidney, Magnolia, There Will Be Blood). Sidney mesure les ravages de l’individualisme égoïste à l’aune du film noir et de la fable édifiante à la Capra ; Magnolia est un film d’une extraordinaire complexité, presque baroque (on a souvent parlé de son aspect choral), oscillant entre le mélodrame et la fable symbolique, une allégorie de l’humanité menacée dans l’hypothèse que « l’humanité c’est l’amour».

La conquête du courage

Punch-Drunk Love est un film déconcertant, déroutant, qui requiert de son spectateur une grande confiance. Son rythme fabuleux et sa grande liberté formelle nous mènent aux frontières de plusieurs genres et de plusieurs tonalités. Ainsi la situation globale de comédie, qui déploie le motif de la rencontre amoureuse et de ses promesses, est tout d’abord infléchie par le burlesque (mais ce n’est pas le burlesque de la comédie américaine « trash » contemporaine). Le personnage de Barry Egan (Adam Sandler), est proche de ceux interprétés par Jerry Lewis : asocial, excentrique dans son costume bleu, timide avec les femmes, il est ce personnage diagonal qui dans sa course incessante et son errance traverse et se heurte aux situations et en révèle de nouveaux possibles. On ne sait jamais quelle direction le film va prendre : c’est bien le personnage de Barry qui permet d’en « tenir » le fil. Et les gags subtils, non soulignés à la manière de Jacques Tati (référence de Paul Thomas Anderson), ces chutes, ces accidents soudains, le décor en destruction, font surgir la part de chaos du monde dans l’intensité de l’évènement qu’est la rencontre amoureuse. Tous ces gags sont comme l’onde de choc de l’accident de voiture qui ouvre le film dans une tonalité fantastique : par cette brèche, dans cette impasse de zone industrielle peut s’échouer quelque chose du monde : un harmonium. Est-on bien sûr de ce que l’on a vu ? Cet accident a-t-il eu lieu ou pas ? L’évènement par son caractère évanouissant requiert de se prononcer sur ce qui a eu lieu (une rencontre), de prendre des décisions dont l’harmonium sera tout au long du film comme le support. S’initie alors pour Barry un processus de maturation, de devenir adulte, qui par moments apparente le film à un conte cauchemardesque à la violence exacerbée et rarement aperçue dans un genre comme la comédie. Barry doit faire face à tout ce qui le menace et menace son amour, en affrontant ses sept sœurs insupportables et castratrices, en affrontant les quatre frères voyous (réminiscence du film noir), mais surtout en affrontant ses propres peurs qui l’empêchent de grandir. C’est à la violence du monde et à sa propre violence qu’il doit faire face. Son courage est celui de résister et de prendre des décisions : « il fait un vrai choix » (P.T. Anderson). Mais la violence indéniable du film ne nous écrase pas, comme elle n’écrase pas le personnage dont les forces se trouvent décuplées par l’amour. « L’amour enchante le monde » : le film semble reprendre à son compte cette vérité de la comédie musicale. La musique, les couleurs, mais aussi une certaine forme de danse, de chorégraphie du Deux, confèrent au film une tonalité lyrique qui finit par emporter les autres. Les bruits bizarres, les chansons et le thème du film (qui pourrait faire penser à une musique de Nino Rota) sont le bruit des affects des personnages : ils ne chantent pas mais « ça » chante en eux. La musique trace, avec les couleurs saturées des costumes, des décors, et des tableaux numériques de Jeremy Blake, une sorte d’échographie de l’amour qui rend manifeste l’abstraction et l’inventivité de ce film.

Lectures :

L’art du cinéma n°38, Hiver 2002-2003, John Sayles / Paul Thomas Anderson Pierre Eisenreich,
« Punch-Drunk Love. Big Fun.», Positif n°499, septembre 2002, pp.31-32
Frank Garbarz et Yan Tobin,
« Entretien avec Paul Thomas Anderson. En pensant sans cesse à Jacques Tati », Positif n°499, septembre 2002, pp.33-35
Clélia Cohen,
« Vignettes », Cahiers du cinéma n°569, juin 2002
Sébastien Bénédict,
« Punch-Drunk Love », Cahiers du cinéma n°475, janvier 2003
Sharon Waxman,
Les six samouraïs. Hollywood somnolait, ils l’ont réveillé ! Steven Soderbergh, Quentin Tarantino, David O. Russell, David Fincher, Paul Thomas Anderson, Spike Jonze, traduit de l’anglais pas Maxime Odradeck et Claire Réach, Paris, Calmann-Lévy, 2007

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« C’est qu’il n’est pas que le film qui soit une œuvre d’art, la réflexion critique en est une aussi. Elle exige de l’amour, de la sincérité, de l’inspiration. Il y a une muse des ciné-clubs » André Bazin.

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